Code guinéen de la route : un texte incomplet qui fait perdre des milliards à l’État

Actu 1
AMZA Amara CISSE 14/11/2025

Sept ans après son adoption, le Code de la route guinéen (L/2018/023/AN du 20 juin 2018) révèle ses limites. Conçu pour moderniser la sécurité routière, il apparaît aujourd’hui comme un texte tronqué, sans partie réglementaire ni dispositifs techniques d’application.

Pendant que les pays voisins, Sénégal et Côte d’Ivoire, ont mis en place des codes complets, modernes et harmonisés avec les normes de la CEDEAO, la Guinée reste en retard, avec à la clé des pertes économiques colossales et une insécurité routière préoccupante.

Un code réduit à la sanction, sans véritable réglementation

Le Code de la route guinéen ne contient ni dispositions techniques sur la signalisation, ni réglementation sur la catégorisation des permis, ni procédures d’homologation des véhicules, encore moins de normes environnementales.

En clair, la loi sanctionne les infractions, mais n’indique pas les règles précises à respecter.

« C’est un code sans jambes ni bras : il prévoit des peines, mais pas les standards à appliquer », commente un cadre du département des transports.

L’indiscipline routière, conséquence directe du vide juridique

L’absence d’un cadre clair a engendré une culture d’impunité et de désordre sur les routes.

Sans réglementation détaillée ni mécanisme de contrôle rigoureux, les conducteurs se sentent libres d’agir à leur guise :

·       dépassements dangereux et circulation à contresens ;

·       usage du téléphone au volant ;

·       non-respect des feux tricolores et du port du casque ;

·       surcharge des véhicules ;

·       et corruption lors des contrôles.

Dans les faits, les agents de la circulation manquent de références techniques et légales pour sanctionner efficacement les contrevenants.

Les citoyens, de leur côté, ne savent pas toujours quelles sont les règles exactes ni quelles sanctions s’appliquent.

« L’absence de norme, c’est l’anarchie : chacun conduit selon son humeur, parce que la loi n’est ni connue ni appliquée », déplore un officier de la sécurité routière.

Cette situation explique l’explosion des accidents, la montée de l’incivisme et le non-respect quasi systématique des règles élémentaires de la circulation, notamment dans les grandes villes comme Conakry ou Siguiri.

Des pertes financières estimées à plusieurs centaines de milliards

L’absence d’un cadre clair et modernisé entraîne des pertes économiques massives pour l’État.

Selon des estimations internes au ministère des Transports, les recettes non perçues liées au contrôle technique, aux amendes et aux homologations dépasseraient 150 milliards de francs guinéens par an.

Ces pertes s’expliquent par :

  • la faible application des amendes forfaitaires, souvent gérées manuellement ;
  • la circulation de milliers de véhicules non conformes, non soumis à un contrôle technique réel ;
  • l’absence de système automatisé de recouvrement ;
  • et le manque de coordination entre les services de transport, de police et de douane.

Des voisins mieux outillés et plus efficaces

Le Sénégal, avec son Décret n°2004-13, dispose d’un code exhaustif, accompagné d’annexes telles que : signalisation, immatriculation, pollution, sécurité, permis de conduire, etc.

La Côte d’Ivoire, elle, a adopté un Code de la route harmonisé CEDEAO, intégrant un permis à points, la digitalisation du contrôle routier et des amendes électroniques.

Grâce à ces réformes, les deux pays ont automatisé la gestion des infractions et amélioré leurs recettes.
La Guinée, en revanche, reste dépendante d’un système manuel, parfois arbitraire, souvent inefficace.

« Sans harmonisation régionale et sans cadre technique, la Guinée perd chaque jour des ressources considérables et une part de sa crédibilité institutionnelle », explique un expert en gouvernance routière.

Un enjeu de sécurité et de gouvernance publique

L’absence de normes précises a des conséquences directes :

  • Signalisation non standardisée d’une région à l’autre ;
  • Prolifération de véhicules vétustes et polluants ;
  • Multiplication des accidents mortels ;
  • Et corruption routière favorisée par le manque de procédures automatisées.

Pour les experts, la réforme du Code guinéen de la route n’est plus une option mais une urgence.

Ils recommandent notamment :

  1. L’adoption d’un décret d’application complet inspiré du modèle sénégalais ;
  2. La création d’un système de permis à points relié à une base de données nationale ;
  3. La digitalisation du contrôle routier et du paiement des amendes ;
  4. L’introduction d’un registre national des véhicules et des conducteurs ;
  5. Et la dotation de la Direction nationale de la sécurité routière de moyens réels.

Réformer pour sauver des vies… et des milliards

Chaque année, la route tue et appauvrit. Sans réforme du cadre juridique et institutionnel, la Guinée continuera de perdre des vies humaines, des recettes fiscales et une part de sa souveraineté réglementaire.

« Moderniser le Code de la route, c’est protéger les citoyens et restaurer la crédibilité de l’État », souligne un juriste spécialisé dans la réglementation des transports.

Un nouveau texte, plus technique, plus complet et aligné sur les standards internationaux, apparaît donc comme une nécessité économique, sécuritaire et politique.

 

Commentaires

Aucun commentaire pour l'instant. Soyez le premier à commenter !

Vous devez vous connecter pour commenter cet article.


Articles similaires