Crypto-monnaies : entre encadrement naissant et défis judiciaires, le regard du magistrat Malick Sow (Entretien)

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root Judicalex Guinée 25/10/2025

Alors que les crypto-monnaies gagnent du terrain sur le continent africain, leur encadrement juridique reste encore en construction dans plusieurs pays. Au Sénégal, l’intégration de ces nouvelles technologies dans le système financier soulève de nombreux enjeux, notamment en matière de criminalité économique et de coopération judiciaire.
Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction ce mercredi 22 octobre 2025, Malick Sow, magistrat sénégalais et substitut du Procureur de la République, est revenu sur le cadre légal en vigueur au sein de l’UEMOA, les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme liés aux crypto-actifs, ainsi que les défis de coopération régionale. Un éclairage sans détour sur une réalité à la croisée du droit, de la technologie et de la souveraineté.
Quels cadres publics le Sénégal a-t-il actuellement en place pour encadrer l’usage des crypto-monnaies ?
Malick Sow : Le Sénégal fait partie de l’espace UEMOA, où nous disposons d’un dispositif communautaire avec une loi uniforme. Cette législation est axée sur la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. La loi uniforme de 2024 prévoit désormais que les prestataires de services sur actifs virtuels (PSAV) doivent obtenir un agrément avant de pouvoir exercer dans les États membres. Ces prestataires sont également soumis aux mesures de prévention en matière de LBC/FT (lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme). C’est donc ce cadre légal qui régit actuellement les crypto-monnaies dans notre espace. Cela dit, l’autorité de régulation n’a pas encore été désignée, ce qui explique qu’il n’existe, à ce jour, aucun prestataire agréé d’actifs virtuels dans l’espace UEMOA.
Selon vous, quels sont les principaux risques liés aux crypto-monnaies en matière de criminalité financière au Sénégal ?
Malick Sow : Il existe effectivement un risque réel. L’attrait des crypto-monnaies pour les délinquants tient à l’opacité de ce système, qui reste aujourd’hui insuffisamment régulé et encadré chez nous.
Vous savez, les crypto-monnaies fonctionnent sans autorité centrale de contrôle, et offrent un certain pseudo-anonymat. Cela en fait un outil prisé pour le blanchiment d’argent, mais aussi dans le cadre d’infractions telles que les attaques de type ransomware, où les rançons sont souvent demandées en crypto-monnaie.
Le parquet du Sénégal a-t-il déjà traité des affaires impliquant les crypto-monnaies ? Si oui, quels types d’infractions ont été observés ?

Malick Sow: Oui, nous avons déjà eu à traiter ce type de dossiers. Certains individus ont été poursuivis pour des faits d’escroquerie et de blanchiment de capitaux liés à l’usage de crypto-monnaies. Il y a eu quelques condamnations, notamment pour escroquerie.
Comment percevez-vous l’évolution du droit financier pour mieux intégrer les enjeux liés aux actifs numériques ?
Malick Sow : Nous évoluons dans un cadre sous-régional. Actuellement, nous attendons la mise en œuvre effective des dispositions prévues dans la loi de 2024. Cela permettra notamment la désignation d’une autorité de régulation, chargée de fixer les conditions d’agrément des prestataires de services d’actifs virtuels. Ensuite, il s’agira de mettre en œuvre la coopération internationale, indispensable pour traquer les délinquants et suivre les flux de crypto-monnaies, souvent opérés par des plateformes qui ne sont pas domiciliées dans nos juridictions. Nous disposons donc de leviers, notamment en matière de coopération judiciaire.
Existe-t-il une coopération entre les autorités judiciaires sénégalaises et les plateformes d’échange de crypto-monnaies pour le traitement des flux illicites ?
Malick Sow : Pour l’instant, il n’existe pas encore de véritable coopération structurée avec ces plateformes. Il arrive toutefois, dans certains dossiers, que des réquisitions soient adressées à des prestataires non domiciliés sur notre territoire, afin d’obtenir des informations sur l’utilisation de crypto-actifs à des fins délictueuses. Je ne peux pas me prononcer sur le niveau de satisfaction quant aux réponses obtenues, mais je pense que, lorsque le dispositif sera pleinement mis en œuvre, nous aurons les moyens de contraindre ces prestataires à coopérer, ou à défaut, ils s’exposeront à des sanctions.
Le Sénégal a-t-il déjà connu des attaques informatiques notables, comme des ransomwares ?
Malick Sow : À ma connaissance, je n’ai pas encore eu à traiter un dossier lié à une attaque de type ransomware. Je ne peux donc pas me prononcer avec certitude sur ce point.
Existe-t-il un protocole d’accord entre le parquet, la police et les entités techniques en cas de cyberattaque ?
Malick Sow : Oui, nous disposons d’un cadre national de prévention et de riposte. Les différents acteurs concernés peuvent s’y retrouver pour discuter et mettre en œuvre des dispositifs de prévention opérationnelle, mais aussi pour coordonner la réaction en cas d’attaque. Des institutions sont prévues à cet effet.
Quel est l’état actuel de la coopération judiciaire entre le Sénégal et la République de Guinée en matière de lutte contre la cybercriminalité ?

Malick Sow : Il serait délicat pour moi d’en faire une évaluation complète. Toutefois, je sais qu’il existe une convention bilatérale signée en 1971, mais malheureusement non ratifiée. Néanmoins, sur la base du principe de réciprocité, nos deux États acceptent d’en appliquer les dispositions.
Il me semble que cela a d’ailleurs été évoqué récemment lors de la visite du Premier ministre guinéen au Sénégal. Nos États avancent vers une coopération judiciaire plus approfondie, d’autant que nous comptons d’importantes communautés de part et d’autre. Il est donc essentiel de renforcer notre collaboration pour lutter efficacement contre la cybercriminalité.

 Merci beaucoup, Monsieur le Procureur.

Malick Sow : C’est moi qui vous remercie.

 Entretien réalisé par Rama Fils

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